« Retour Convergence, évitement, calme, animation

Depuis le début de deux degrés, on s’attache à décrire une ville telle qu’elle est, avec ses bons et ses mauvais côtés. Le gros défaut de notre profession est de ne pas dire clairement les choses. Espace public, centralités, mixité, etc. On jargonne et on ne raconte rien du coup. Pour bien analyser une ville, il faut la décrire en détail en prenant en compte toute la subjectivité des habitants (c’est visiblement la tradition sociologique de l’école de Chicago, et notamment d’Erving Goffamn et Howard Becker) mais aussi des éléments quantifiables.

1 – Une ville accueille des habitants différents, des usagers différents

Une ville concentre plein d’individus qui sont là par choix, par défaut, par obligation ou parce qu’ils ont toujours été là. Tous ces individus ne se ressemblent pas. Ils n’ont pas les mêmes occupations, les mêmes loisirs, les mêmes envies, les mêmes fréquentations, les mêmes goûts. Ils peuvent être vieux, jeunes, handicapés, pas curieux, cons, généreux, etc. Bref, tous ces usagers n’ont pas les mêmes capacités et envies d’utilisation de l’espace urbain.

2 – Ces usagers et ces habitants ont des représentations et des modes de vie différents

Les usagers et les habitants d’une ville ne se ressemblent pas et en plus, ils ne vivent pas de la même façon. Certains travaillent de nuit. D’autres n’ont pas de voitures. Certains détestent les êtres humains et les légumes. D’autres pensent que les jeunes sont tous des dangereux voyous en puissance. Certains aiment manger McDo. D’autres sont vegan. Certains préfèrent leur chien à leurs voisins. D’autres sont désespérément seuls.

3 – Une ville, c’est donc une combinaison de stratégies de convergence et d’évitement

Bien entendu, quand on n’a rien en commun, on n’a pas forcément envie de se retrouver ensemble. Une ville est donc composée de moments collectifs où tout le monde se retrouve (le feu d’artifice du 14 juillet, le jour où on est champion du monde et les soldes dans la rue commerçante), de lieux où l’on ne fait que se croiser (des places, des transports en commun, des magasins) et enfin de lieux où l’on espère croiser personne (un coin tranquille dans un parc, un recoin). Il faut donc arrêter de croire que dès que l’on crée un « espace public », tout le monde va se retrouver dessus pour communier. C’est faux ! Les habitants choisissent quand ils veulent communier ou pas. Et en France, on n’a pas souvent envie de communier. C’est comme ça. Si vous voulez du monde qui parle fort et qui joue au ballon sur un espace public, allez plutôt en Espagne.

Toute la richesse de notre métier est justement de travailler avec ces envies de convergence et d’évitement. Cela crée des situations, des lieux.

Les premiers chapitres du Petit Paris rappellent que tout le monde n’est pas un bon citadin moyen. Qu’on ne peut pas espérer créer du lien en mélangeant tout le monde tout le temps. Une ville, c’est un système d’usagers, de lieux et de temporalités avec quelques joyeux moments collectifs, des moments collectifs vraiment pénibles (le métro par exemple) et beaucoup de moments où l’on essaie de s’éviter. Pouvoir s’éviter en ville, c’est un vrai luxe. C’est d’ailleurs les riches qui ont bien compris à ça avec leur quartier bourgeois (et ils ont les moyens pour le faire).

4 – Une ville, c’est aussi une confrontation entre calme et animation.

Nous avons besoin de calme. Du calme pour nous reposer, pour dormir, pour glander, pour être seul. Notre métier d’urbaniste consiste donc à ménager des lieux calmes, surtout en ville. Dans Le Petit Paris, nous disions « chiant » au lieu de « calme » mais le résultat est le même.

« Le chiant est une ressource qu’il faut sans doute prendre en compte. Or ce qui fait l’intérêt d’une ressource, par définition, c’est d’être rare. Du moins, de ne pas être trop commune ou omniprésente. Il est vrai qu’entre le monde du travail et la maison, le moment de calme devient de plus en plus précieux dans une journée. Rendez-vous compte ! Vous êtes Parisien, 10 heures par jour, près de 300 jours par an, vous avez à gérer un grand nombre de dossiers professionnels plus ou moins intéressants. Ce que vous faites n’a pas toujours un sens ou une finalité. Vous êtes emmerdé régulièrement par vos collègues ou clients. Lorsque vous rentrez à la maison, les gamins gueulent, le (la) conjoint(e) tire la tronche et la belle-famille débarque à l’improviste ? Bref, c’est épuisant. Mais lorsqu’une ville est capable d’aménager (ou de préserver) un quartier carrément chiant où une personne choisit volontairement de faire une pause au calme pendant 30 minutes, entre la sortie du boulot et le retour à la maison, nous pouvons affirmer que cette ville rend un service public précieux. Traditionnellement, c’est le trajet en voiture, entre le boulot et la maison, qui permettait ce moment de pause, de sérénité. Malheureusement, les urbanistes tentent à tout prix de vous débarrasser de cette voiture et de vous faire vivre à 5 minutes à pied de votre lieux de travail, alors il faut bien proposer une alternative.1 »

1Le Petit Paris. Chapitre 5 «la ville chiante ». p 162

Le chapitre 5 du Petit Paris fait la promotion de la « ville carrément chiante », de la gestion du calme et de l’absence d’activités et d’usagers dans certains espaces urbains.

Lorsqu’on a passé beaucoup de temps au calme, on a envie d’aller dans un endroit où l’on pourra croiser beaucoup de monde. C’est tout l’intérêt d’une ville. Multiplier ces lieux d’animation. En sachant qu’il existe plein de façons de passer du bon temps. Un sympathique café en terrasse est la base, mais il y a de nombreuses variantes. La diversité des situations urbaines doit favoriser la grande diversité des loisirs et de l’animation en ville. Certains lieux sont symboliques, centraux, fédérateurs et aménagés comme tels. D’autres sont à l’écart, confidentiels, temporaires, peu aménagés et génèrent des pratiques d’un tout autre genre.

Le chapitre 6 du Petit Paris parle de la stimulation en ville, sous toutes ces formes. Nous avons appelé ça « la ville bandante » pour être assez explicite sur la question. En tant qu’urbaniste, il est préférable de réfléchir à la grande diversité des manières de passer du bon temps en ville. De toute façon, si on ne le fait pas, les usagers et les habitants le mettront en pratique sans attendre nos propositions, comme le rappelle cet article.

5 – Gérer le rythme urbain et les situations urbaines

La ville, c’est avant tout des rapports entre des moments calmes et des moments animés et riches en opportunités.

Dans une ville, on adhère à la culture locale et on apprécie les différentes ambiances. Un quartier ne ressemble pas à un autre et c’est tant mieux. Les quartiers ne se ressemblent pas car ils n’ont pas la même histoire, les mêmes habitants, la même culture. On aime pouvoir passer du calme du quartier bourgeois à l’animation du quartier populaire et son marché du samedi matin. L’intérêt d’une ville repose sur la possibilité de passer d’une situation à une autre en moins de 20 minutes et de bénéficier tous des mêmes opportunités / chances.

Aménager, c’est arriver à gérer ces envies différentes, ces différents moments. Les faire cohabiter et les rendre accessibles au plus grand nombre.

« Pour faire de l’ennui un service public honorablement satisfait, il faut l’organiser et donc le chiant et la quiétude, ça s’aménage. Non aux commerces proximité et services aux pieds des immeubles dans mon quartier ! Pas d’équipements culturels! Pas trop près les collèges et les lycées! Enlevons tout ce qui est potentiellement source de nuisance dans la mesure où certaines personnes ne seraient pas prêtes à partager le même idéal de quiétude. Supprimons ce qui pourrait générer un quelconque intérêt pour le non-riverain. Une centralité ? Non, on n’en veut pas ici, allez la faire plus loin (pas trop). 1»

1Le Petit Paris. Chapitre 5 «la ville chiante ». p 162

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