« Retour À la recherche de la situation idéale

1 – À la recherche de la situation idéale

Idéalement, tout le monde aimerait vivre dans une ferme / loft de 5 hectares boisés mais avec tous les commerces et les services au bout du chemin (pas trop long le chemin). La situation idéale, c’est vivre dans un lieu super calme à deux pas de lieux très animés.

Plus on est au centre de l’animation, plus la valeur du moindre espace calme augmente (la terrasse dans un appartement Parisien). Plus on est enfoncé dans un dans espace calme, plus la proximité d’un lieu animé est précieuse (un super tiers-lieu au milieu de la campagne).

Notre métier consiste donc à multiplier la diversité et la complémentarité de ces situations géographiques, maximiser les opportunités et les interactions positives qu’elles génèrent. Étant entendu que des espaces animés ou des espaces calmes beaucoup trop grands sont préjudiciables (on va mourir = Paris ! ou en va s’ennuyer fort = La Meuse).

Pour cela, nous avons différents paramètres et outils à prendre en compte.

2 – L’occupation, la situation et la configuration influencent le degré d’animation.

Plus c’est densément occupé par des usagers actifs, bien situé, bien relié et bien traversé, plus il y a de chance que ce soit animé. Si c’est peu dense, occupé par des usagers peu actifs, isolé, mal relié et pas traversant, il y a de fortes chances qu’il ne se passe absolument rien. C’est quasi mathématique.

3 – Les ruptures et les connexions

A titre personnel, j’ai toujours aimé les ruptures en ville. Passer d’un côté et de l’autre d’une voie ferrée, traîner derrière une zone commerciale, franchir les rivières. En quelques mètres, on passe d’une ambiance à une autre, bien souvent d’un lieu animé à un lieu plus calme. Je suis fasciné par la manière dont des voies ferrées peuvent, par exemple, créer des oasis résidentiels calmes dans un espace urbain plus animé.

Un usage intelligent de la rupture (voie ferrée, cours d’eau, mur, absence de rues, ambiance) permet de faire cohabiter deux lieux différents, l’un contre l’autre, sans générer de conflits. Et puis tout l’intérêt de la rupture, c’est de bien gérer les ouvertures, les connexions, là où il y a du mélange.

« La rupture est composée de deux éléments : l’obstacle et son point de franchissement (l’ouverture, la porte, l’accès). Les ruptures, dans nos villes contemporaines, ne ressemblent pas systématiquement à des murs infranchissables de 4 km de long. Ce sont des ruptures que l’on peut franchir ponctuellement. L’accès, pendant essentiel de l’obstacle, renvoie pour nous à ce que devrait être la ville fluide, c’est-à-dire fluide par moment, au niveau des points de franchissement. Quand on parle de ville fluide, on évoque un lieu et un temps où le maximum de rencontres et d’échanges sont possibles, un paradis urbanistique où les gens s’aiment, se côtoient.1 »

Les ruptures. Mathieu Zimmer. Le Petit Paris.

1Le Petit Paris. Chapitre 8 «grumeau urbain ». p 262

4 – Les espaces publics et les « spots »

Évidemment, un espace public attractif pourrait ramener du monde au milieu de rien (mais va falloir mettre de choses sacrément intéressantes dessus). On voit surtout l’émergence de « spots », des lieux hybrides, hyper attractifs, dans des coins un peu retirés, qui arrivent à attirer et concentrer les pratiques cool (Darwin à Bordeaux au début des années 2010 par exemple).

5 – La complémentarité fonctionnelle

On nous parle tout le temps de mixité. Mixité sociale, mixité fonctionnelle. Mais ce n’est pas intelligent et intéressant en soit la mixité moyenne. C’est la nature du mélange qui compte. Donc il ne faut pas tout mélanger car c’est source de conflits (les habitants au dessus du bar par exemple). Il faut mélanger des éléments complémentaires (un bar dans un quartier de bureau par exemple, là où il n’y a pas d’habitants pour râler). Avec Florian, nous avons appelé ça la complémentarité fonctionnelle. C’est un moyen de faire cohabiter des usagers et des fonctions différentes dans un même lieu. On vous assure que ceux qui habitent en plein milieu d’une zone d’activité sont contents car ils n’ont aucun voisin ! Alors vouloir remettre du conflit (c’est-à-dire des voisins) là où il n’y en a pas, c’est peut-être dommage.

Le chapitre 8 du Petit Paris explique le principe de complémentarité fonctionnelle, de l’art de mélanger intelligemment les ingrédients urbains entre eux (et surtout l’art d’éviter certains mélanges contre-productifs). Dans le domaine de l’urbanisme, il faut parfois aller contre ses automatismes. Il ne faut pas trop aménager, il ne faut pas toujours trop mélanger.

Dans Le Petit Paris, on avait imaginé que La Défense devienne un lieu de fête (pas de voisins donc pas de conflits). « Est-ce réellement une bonne idée d’intégrer de la mixité fonctionnelle à la Défense ? De mettre des habitants dans un quartier où il n’y en a presque pas ? Nous pensons que non. La Défense est vide le soir et le week-end, nous devrions en profiter pour y mettre des activités qui emmerdent traditionnellement les riverains. Bourrons le quartier de bars et de boites, laissons gueuler les gens la nuit. Ils ne gêneront pas grand monde et ils pourront même repartir bosser à pied après une nuit blanche1. » Les récents projets dans le quartier d’affaire vont plutôt dans ce sens (http://oxygen-ladefense.fr/ ).

1Le Petit Paris. Chapitre 8 «grumeau urbain ». p 250

6 – Les grumeaux urbains

Lorsque nous ne pouvons pas faire cohabiter tous les modes de vie souhaités dans le même lieux, il faut faire cohabiter des lieux différents à proximité. Mais faire cohabiter nécessite aussi de préserver l’identité de ces lieux, de veiller à ne pas venir mettre de la mixité qui neutraliserait ce qu’il s’y passe. Face à l’homogénéisation de la ville qui rend tout moyen (mêmes enseignes, mêmes commerces, mêmes usagers, mêmes conflits remportés par les mêmes usagers, fluidité partout), nous avons imaginé les « grumeaux urbains », des lieux non dissous dans un territoire fluide.

« Ces lieux permettraient « de maintenir en ville des lieux spécifiques, spécialisés. Le grumeau urbain serait une poche de ville mal dissoute, qui tolère peu le mélange, qui ne ressemble pas à ce qu’il y a autour. Un lieu dans lequel on ne vient pas chercher une mixité de fonction mais une ou deux fonctions bien particulières, afin de ne pas vivre tout le temps comme tout le monde. Le grumeau repose la question du spatial en ville. Que peut-il se passer ici qu’il ne se passera pas là-bas ? Comment faire pour que les habitants de ce quartier ne vivent pas de la même façon que leurs voisins ? Et surtout, comment faire pour que ces voisins ne fassent pas chier les habitants de ce quartier ?1 »

Un grumeau urbain, c’est le quartier un peu foutoir où les choses ne se passent pas comme ailleurs, c’est un quartier de grand ensemble où le coeur d’ilot est réservé aux habitants et à leurs modes de vie, c’est un campus universitaire vide le samedi. Et c’est surtout la volonté de préserver leurs spécificités de l’homogénéisation urbaine.

1Le Petit Paris. Chapitre 8 «grumeau urbain ». p 248

La ville fluide. Mathieu Zimmer. Le Petit Paris
La grumelosité urbaine. Mathieu Zimmer. Le Petit Paris.
Fludité et grumeaux. Mathieu Zimmer. Le Petit Paris.

Le chapitre 8 du Petit Paris définit le grumeau urbain, ses avantages, ses principes de préservation et ses limites.

Le grumeau de Neuilly. Florian Rodriguez, Mathieu Zimmer, Martin Lavielle. Le Petit Paris.

7 – L’appropriation

Et puis bon…au final, il y a l’appropriation. C’est-à-dire que les usagers feront ce qu’ils veulent des espaces mis à disposition. Alors faut planifier et aussi laisser la magie faire. Urbaniste, c’est un subtil mélange des deux.

Rertouvez les articles suivants ici :