« Retour Des sportifs

L’été est là et, comme à la télé, nous vous proposerons un nouveau programme exclusif (ce qui veut souvent dire un truc moins bien… mais on s’en fout, c’est l’été, vous ne glanderez plus sur deuxdegres.net au boulot). Jusqu’à la fin du mois d’août, nous vous proposerons un feuilleton de l’été, hommage périurbain au bon vieux Château des Oliviers.

Avant cela, voici un texte de fond sur les villes sportives (on a réfléchi mais on a aussi sué comme des porcs – mens sana in corpore sano). Ce texte sera intégré à un cahier de tendance publié sur ce thème à la rentrée et rédigé en étroite collaboration avec Philippe Gargov de Pop-up urbain. Oui, les membres de Deuxdegrés deviennent des professionnels ou, comme on préfère dire entre nous, des « executives managers consultants in urban prospective » qui vendront leurs conseils avisés pour quelques euros.

 

Les « villes sportives »

Les villes, qui aiment soigner leur image, apprécient fortement de pouvoir être qualifiées de « sportives ». Sans doute le côté jeune, actif, performant et en bonne santé que l’imaginaire collectif associe à ce terme. Mais c’est quoi au juste une « ville sportive » ?

Dans la mesure où l’urbanisme contemporain nous entraine vers des villes toujours plus chiantes, on peut d’ores et déjà oublier le sens figuré du terme (il va pas y a avoir du sport !). Plus vite, plus haut, plus fort, c’est bon dans la théorie, mais surtout pas dans la pratique (la ville « durable » promeut davantage un : Plus doux, plus sensible, plus couille-molle).

Dans cette logique d’affichage auto-irréalisatrice, il semblerait que l’on considère comme « sportive », une ville où il y a beaucoup de sportifs et, si possible, d’équipes de haut niveau. Ainsi, la ville la plus sportive de France serait aujourd’hui Montpellier puisque, dans la plupart des sports collectifs un tant soit peu médiatiques, elle compte des équipes de premières divisions (dont le niveau s’échelonnait déjà de respectable à franchement forte avant les triomphes de cette année).

Cependant, la définition nous a semblé un peu courte. Pour une ville, le sport de haut niveau est lié à des contingences (tradition, fortune locale ou qatarie disposée à investir, gros coup de bol…) qui ne constituent pas des modèles extrapolables. D’un point de vue prospectif, même si nous sommes convaincus que la qualité de vie, c’est aussi pouvoir se la péter auprès des gens des autres villes grâce aux résultats de son club préféré (Sciences po Paris 13 avril), nous entrevoyons la limite du modèle dès lors que l’on cherche à le reproduire (une limite numérique fixée à 20 villes françaises pour le foot, 14 pour le rugby, etc.).

Certes, il est une solution qui consiste à s’accrocher à un passé prestigieux, même lointain. Un système de rotation du haut niveau permettrait ainsi à des villes de se la péter durant quelques années, puis de pouvoir se reporter sur leur passé prestigieux, aussi poussiéreux soit-il. Mais l’exemple marseillais devrait suffire à vous faire comprendre les limites de cette logique (ils nous ont tellement cassé les couilles avec leur unique coupe d’Europe probablement achetée par Nanar, qu’on en viendrait presque à souhaiter un triplé du PSG en C1… juste pour qu’ils ferment leur gueule). Vous comprendrez également que ça ne suffit pas à faire la qualité d’une ville.

D’un point de vue mathématique, soit les Marseillais se contentent de peu, soit ils sont vraiment à chier en calcul.

 

Le sport en urbanisme : une erreur de casting

Passer du mythe du Vélodrome à celui du Café du mistral, c’est un peu triste. Cela illustre à quel point le statut sportif des villes semble terriblement dépendant des résultats de quelques clubs. Rappelons qu’à la fin des années 1990, une ville comme Pau, aujourd’hui rentrée dans le rang, aurait été leader de notre classement (équipes européennes en rugby et basket). Alors certes, Montpellier (plus exactement les différentes collectivités locales du coin) a une politique assez volontariste de soutien financier aux clubs de haut niveau. Mais ça semble couter cher et il n’est pas dit que cela puisse durer (la réforme des collectivités, en ruinant notamment les départements, devrait logiquement amener Montpellier à quelques rétrogradations). En misant gros sur le sport de haut niveau, les collectivités sont vouées à vivre dans la crainte de l’irrégularité et de la contre-performance.

L’incertitude, certains considèrent que c’est ce qui fait la beauté du sport. Mais pour nous, aménageurs qui manions beaucoup d’argent (essentiellement public), c’est un paramètre à éviter (on va encore nous accuser de gaspillage). C’est sur ce point précis que s’est exprimé notre esprit de contradiction. Ne serait-il pas plus productif, plus durable sur le long terme, de miser sur la contre-performance au lieu de chercher à l’éviter ? Pour mériter le qualificatif de « sportives », les villes ne devraient-elles pas plutôt se tourner vers le sportif de bas niveau ?

Le sportif de bas niveau recoupe en effet une grande diversité de profils, qui vont du sportif de haut niveau raté, au tocard obèse qui court 3 fois par an en espérant sincèrement perdre 40 kilos. Investir sur le sportif de bas niveau reviendrait à se concentrer sur une ressource inépuisable et bien plus constante dans ses (mauvaises) performances.

Et si, bizarrement, c’était celui de droite le plus intéressant ?

 

Le sportif de bas niveau : un cœur de cible négligé

Les urbanistes, avec leur côté aménageur grandiloquent, serait du genre à considérer qu’une ville sportive est une ville où l’on trouve de beaux stades et des piscines olympiques. De véritables temples du sport. Mais essayer de faire un footing à Liverpool ou Manchester en plein hiver, même autour d’Anfield ou Old Trafford, relève de l’inconscience climatique pour un sportif de bas niveau.

À l’évidence, la pratique du sport de bas niveau est entièrement à repenser. La tendance consistant à dégager les bagnoles des villes, en particulier des centres villes, aurait pu laisser davantage d’espace d’expression à ce sport de bas niveau. Mais il n’en est rien. L’urbanisme contemporain n’envisage pas du tout la dimension sportive de la ville.

Certes, il met des pistes cyclables partout, mais bien confortables. Il réalise pleins d’espaces piétons, mais destinés à la promenade. À n’envisager les choses que sous l’angle de la mobilité, de l’efficacité des déplacements (ou au contraire de leur vacuité), à envisager essentiellement des déplacements domicile-travail, à la rigueur émaillés d’espaces publics (où la terrasse de café est considérée comme le seul divertissement tolérable) on met en place un Cyclo, boulot, dodo bien peu ludique. Encore plus grave, la question des sports collectifs est tout bonnement ignorée.

Car il ne s’agit pas de se contenter d’un bon réseau de pistes cyclables ou de trottoirs confortables pour la marche à pied. Non ! Il est question de sport ! Là où le cycliste du quotidien prend son vélo pour aller au boulot en espérant transpirer le moins possible sous les aisselles, le sportif entend au contraire en chier un max. Ce qu’il lui faut, ce n’est pas un bel enrobé avec feux de signalisation à chaque carrefours, c’est l’aménagement d’un Mont Ventoux artificiel ou une reconstitution du Mur de Grammont aux pavés casses pattes, pour pouvoir être fier de sa performance (encore une fois, rappelons la corrélation trop ignorée par les urbanistes entre « qualité de vie » et « pourvoir se la péter »). Paris-Roubaix n’est pas surnommée « la bucolique promenade champêtre du Septentrion », mais « L’Enfer du Nord ». Ça veut quand même dire quelque chose dans l’esprit des passionnés de cyclisme (nous éviterons d’évoquer le cas du mythique « carrefour de l’arbre » qui, chez des paysagistes non avertis, pourrait conduire à d’assez fades croisements de routes arborés… ou comment insulter une légende) !

 

Rêvons un peu : Amis cycliste nantais. Tu en as marre du plat pays ligérien ? Tu ne veux pas en être réduit à aller en Vendée pour pratiquer ta passion et finalement ne tâter que quelques bosses ! Viens découvrir le projet de reconversion de l’Aéroport Nantes Atlantique (pour cause de déménagement) : le Bouguenais d’Huez. Fini les pistes cyclables plates et longilignes. Découvre 21 lacets de pur bonheur, dans des pentes à 7,9 % de moyenne, à quelques minutes (d’échauffement) de Nantes. L’hiver, le Bouguenais d’Huez proposera un domaine skiable unique dans le Grand Ouest français (ça c’est de l’aménagement !).

 

Si quelques communes s’engagent sur cette piste du sport de bas niveau, la révolution intellectuelle chez les urbanistes pourrait faire mal. Pour eux, soit un stade est un projet (il est donc destiné au haut niveau), soit il n’a pas droit de cité. Le lecteur assidu du Moniteur aura en effet remarqué que les récurrents écoquartiers n’intègrent que rarement de simples terrains de foot (leurs projets sont pleins de noues ou d’espaces arborés et on voit bien que leurs concepteurs ne sont jamais allés chercher un ballon dans un fossé ou dans un arbre !).

 

Vous voulez interdire à vos enfants de jouer au ballon parce qu’ils font du bruit et se salissent, mais vous craignez de passer pour strict (ou pour des chieurs) : collez-leur des noues ! Parce que là, on voit mal la gueule que pourrait avoir leur terrain.


Le sportif de bas niveau qui aime parfois se faire mal (du moins ne pas trop passer pour une meringue) en sera-t-il réduit à courir sur des « cheminements doux » ? Lui laissera-t-on au moins faire du BMX sur ces putains de noues ou lui expliquera-t-on que ce n’est pas éco-responsable ?

Comme terrain de bicross, ça semblait pourtant évident !

 

La promenade : l’ennemie du sport

Insistons sur cette question des cheminements doux qu’on nous fout partout. S’ils ne sont d’aucune utilité à la pratique des sports collectifs, en théorie ils pourraient représenter d’excellent support de footing (par exemple). Mais par définition, si c’est « doux », il sera difficile de s’y « faire mal », d’y « cracher ses poumons », de repousser ses limites… L’idée même de vitesse nous semble compromise. Le terme de « cheminement » ne renvoie pas non plus une formidable impression de vélocité tant ça semble plan-plan (un  nom construit comme un adverbe, l’adverbe servant généralement à apporter une nuance… ça donne un nom nuancé ?). À force de débiter des formules ampoulées au possible pour ne choquer personne, l’urbanisme en vient à dégager une sacrée impression de langueur. Bref, le cheminement doux c’est fait pour se déplacer, mais surtout pas trop vite. La ville durable est aussi une ville molle… pour ne pas dire flasque, avec des lipides mouvants et suintants au moindre effort (nous allons y revenir).

Comme dans le cas des pistes cyclables, ces liaisons ne sont pas du tout envisagées comme des espaces sportifs, mais bien au contraire, comme des espaces de marche, de « tranquillité », « d’apaisement » (des mots très présents dans le champ lexical de la discipline et ce n’est pas un hasard), de respect de l’autre, d’amour, de partage… (dans le genre éloge, Milan Kundera prend une sacrée leçon). Rien de très compatible avec la tension, la violence, la combativité, pour ne pas dire l’agressivité, que semble supposer l’effort physique.

Du point de vue sémantique aussi bien que dans les représentations de projets, ces espaces semblent dédiés à la promenade. Or, qui perd son temps à se promener ? Les vieux et ceux qui sortent le chien pour qu’il pose sa crotte ! Des publics cibles (que les urbanistes les aient ciblés consciemment ou pas) non seulement très peu sportifs, mais qui représentent également de sacrées antagonistes à la course à pied. Des obstacles de par leur lenteur (Toujours plus de vieux), leur capacité à râler et à faire interdire ce(ux) qui les gêne(nt) pour les premiers. Des poseurs de mines olfactives et glissantes pour les seconds.

En somme, beaucoup de contradictions pas assez soulignées entre une ville verte, durable, « plus mieux » en théorie, et l’épanouissement physique des individus qui devrait logiquement l’accompagner (et qui est traditionnellement un thème beaucoup plus central dans les utopies et leurs villes idéales). Nous ne parlons même pas de la dimension ludique liée au sport ou aux jeux d’enfants (eux aussi sportifs, bien que de façon plus ou moins consciente). Peut-être qu’à force de penser à la planète, aux animaux, au plantes et à l’écoulement des eaux, on en a un peu oublié les êtres humains (mais ce n’est qu’une supposition).

 

Sport et bagnole… une autre facette du développement durable ?

À coup d’écoquartiers, c’est un bel avenir, placé sous le signe de l’obésité verte, que nous préparons à une éco-jeunesse gavée de légumes bios et de sucreries équitables. Voilà qui est bien paradoxal dans une ville où l’on ne prendra plus sa voiture pour faire 200 mètres. Mais si mêmes les gros lards peuvent facilement faire du vélo faute de côtes susceptibles de leur faire regretter leurs bidoches, il ne faudra pas s’étonner que les villes du futur soient aussi celle des éco-bourrelets.

Avec la génération développement durable, le niveau des mers peut monter, ça flotte !

 

Si on y réfléchi, voilà qui invite à repenser la question de la voiture et de sa place en ville. Les États-Unis, paradis de la bagnole sur-employée, ont fait une caricature de la football mum ou soccer mum, mère au foyer qui ne réalise donc aucun déplacement domicile-travail, mais peut passer des journées entières en tant que taxi de ses enfants. Mauvaise mère sur le plan environnemental, elle n’en demeure pas moins essentielle à la pratique du sport par sa marmaille. On en vient donc sérieusement à penser que la voiture est l’alliée de la pratique du sport, en particulier du sport collectif (et n’oublions pas que, selon différents critères qu’il serait long d’énumérer, l’un des pays considéré comme les plus sportif de la planète n’est autre que… l’Australie, pays qui ne vaut guère mieux que les États Unis).

 

Voyons d’ailleurs ce qu’on échantillon d’experts pense de la compatibilité entre transports « doux » et sport (notamment sport collectif) :

Ils ne semblent pas convaincus…

 

Compte tenu de l’importance du sport collectif dans les relations sociales, ne faudrait-il pas réenvisager complètement les vertus de l’automobile vis-à-vis du développement durable (qui, rappelons-le, est aussi sensé avoir un volet social). D’autant qu’il faudrait mettre en parallèle des problèmes d’intégration, de santé et de moquerie dont soufrerons les futurs bibendums issus de l’obésité verte.

De la même façon, des voies en impasse, des raquettes de retournement, des maisons posées au milieu de la parcelle, ne valent-elles pas mieux pour que les enfants du lotissement jouent à la balle ou fassent le tour de la maison à vélo que des rues bien denses et structurées ? Même dans les espaces verts, il n’y aura que des noues et des massifs de graminées. Vous la faite comment la partie de foot ? En plus, les graminées c’est même pas assez haut pour jouer correctement à cache-cache (surtout si on est gros). Et il vaut mieux passer sous silence les problèmes d’allergie que cela suscite puisque c’est très à la mode chez les paysagistes (dans la ville verte, on sera gros et on aura en plus les yeux qui coulent !). Bref, on n’est pas prêts de pouvoir faire du sport dans de bonnes conditions.

Quelle cachette de merde !

 

Sauver le sport de la ville verte !

Certains sportifs, notamment les joggeurs, sont heureusement capables de créativité et n’hésitent pas à se saisir d’espaces que l’urbaniste de bureau aurait souhaité dévolus à la seule promenade. Les parcs, berges, esplanades sont leurs terrains de jeu. Au grand dam des petites vielles qui nourrissent les pigeons. Un palliatif appréciable, qui n’empêchera cependant pas de reposer la question des lieux pour faire du sport.

Il faudra également penser aux accès à ces lieux, parce qu’en se baladant en pleine rue en short et vêtements de sport (souvent des tee-shirts de fonds de placards aux couleurs aléatoires)… ben on l’air d’un con. Un con qui va faire du sport certes, mais un con quand même !

Ceux-là ont l’air de cons colorés, c’est déjà ça.

Quant à la possibilité (qui, l’hiver, est souvent une nécessité) de « s’échauffer sur le trajet » (traduction : esquisser de manière improbable quelques enjambées entre deux passages cloutés, en évitant les poussettes, bus, motos, vélo, pigeons…), il faudrait pouvoir l’exclure. Autant pour des questions de sécurité routière et de risques de claquage que de considération à l’égard du footing. On le voit, ça fait longtemps qu’on n’a pas réfléchi au sport en ville.

 

Conclusion

L’urbanisme contemporain aurait beaucoup à reconsidérer et à relativiser s’il se préoccupait un peu de sport, en particulier du sport de bas niveau. Parce que le cyclisme et le footing, ce n’est pas de la « mobilité », même si ça y ressemble (et même si ça n’a pas le caractère contemplatif et futile de la promenade). Parce que le sport collectif joue un rôle social non négligeable qui mérite peut-être un peu de CO2. Parce qu’il véhicule des passions, pas toujours glorieuses, mais où l’on trouve au moins un peu de cet enthousiasme et de cet excès qui nous font cruellement défaut en urbanisme. Parce que le commun du citadin qui se bouge le cul, ça nous rappelle à quel point la valeur « dynamisme » est devenue totalement absente de nos études.

Mais nous craignons que les urbanistes, architectes et paysagistes se contentent de considérer les sportifs comme des beaufs ne méritant aucune considération. Nous sommes bien placés pour savoir que l’imaginaire collectif (surtout populaire), ça les dépasse un peu. Le jeune passionné de sport ci-dessous a d’ailleurs un message à leur adresser.